Sénégalissimo


Je vis en Afrique
vendredi, 17 juillet 2009, 9:45
Filed under: culture, Sénégal, traditions | Étiquettes: , , ,

Ndeup sur Seneweb.com

J’ai souvenir d’un repas de Noël chez mes parents pendant lequel, à un moment donné, quelque part entre la tourtière et le dessert, on a commencé à se raconter des histoires de peur. Je ne sais plus qui a raconté le premier truc bizarre, ni de quel truc il s’agissait. La chasse-galerie ? Une histoire de loup-garou ? Une légende dans laquelle le diable envoûtait, en dansant, une jeune femme vierge ? Peu importe.

Ce qui est certain, c’est qu’une histoire fantastique en entraîne toujours une autre. Dans une sorte de surenchère, oscillant entre la curiosité, la peur et l’excitation, les auditeurs deviennent tour à tour conteurs, et les conteurs, auditeurs, rivalisant de détails inquiétants et de preuves d’authenticité jusqu’à ce que, d’un commun accord, on passe à un autre sujet en espérant arriver à trouver le sommeil plus tard.

À ce repas de Noël, donc, il y avait des amis africains : ami burkinabé, ami guinéen, ami ivoirien et ami malien. De la chasse-galerie, on est passés aux gris-gris, aux cimetières dans lesquels il ne faut pas se retourner, aux cérémonies vaudou très convaincantes. Je m’étais fait la réflexion, à l’époque, que tout ça m’était étranger, voire caricatural.

Depuis mon arrivée au Sénégal, j’ai souvent entendu parler de gris-gris antimort, qui empêchent les balles de transpercer le corps ou les lames de couper la peau. On leur attribue même le succès des rebelles casamançais. « L’armée, elle ne pouvait rien, contre ces gars-là. Il fallait leur rouler dessus avec des tanks pour les tuer », m’a-t-on dit.

Des amis à moi, cartésiens pour bon nombre de choses, à la question : « Et toi, tu y crois, à ces trucs ? », répondent : « Tu sais Danielle, je suis Africain. On ne va pas arriver à se convaincre l’un l’autre sur ce coup-là ». D’ailleurs, tout le monde admet que certains marabouts sont des charlatans… mais qu’il en existe de bons.

Les Lébous

Il y a quelques semaines, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme de 24 ans, mi-Américaine, mi-Sénégalaise. Affligée d’une maladie que les médecins sénégalais et américains ont été incapables d’identifier depuis plus d’un an, elle a décidé de se tourner vers des remèdes plus traditionnels pour venir à bout de ses problèmes de mobilité, de vision et d’élocution.

Le père de cette jeune femme est d’origine léboue, peuple qui se trouvait sur la péninsule du Cap-Vert à l’arrivée des colons et qui habite toujours le cœur de ses villages de pêche, tels Ouakam, Yoff ou Bargny, pour ne nommer que ceux-là. Les Lébous, avec les Sérères, figurent parmi les ethnies les plus animistes du Sénégal.

Les Lébous croient que certaines maladies sont causées par le mécontentement des « rabs », des esprits très anciens. Pour les apaiser, ils pratiquent le « ndeup », une cérémonie pendant laquelle on joue de la musique, entre en transe et sacrifie un animal dont la taille est directement proportionnelle au mécontentement du « rab ». Bref, cette cérémonie a pour but de libérer le malade de l’emprise de son « rab ».

On a donc proposé à la jeune femme que je connais de se rendre dans un village lébou pour rencontrer une dame qui fait le « ndeup », d’abord pour vérifier que son mal est bien dû à l’emprise de son « rab ». Son conjoint ayant demandé à la dame de « tout faire » pour venir à bout de la maladie de sa femme, il se pouvait donc qu’on fasse la cérémonie du « ndeup » le jour même, sans plus tarder. On a alors préparé la jeune femme à ce qu’elle pourrait vivre pendant la cérémonie…

On allait sans doute sacrifier un animal, plus ou moins gros en fonction de son mal ; par exemple, un coq, un agneau ou encore, une vache. La « prêtresse » entrerait en transe, se verserait le sang de l’animal et du lait caillé sur le corps, pourrait aussi en verser un peu sur le sien. Elle devrait faire ce qu’on lui demande, sans se rebuter. On cuisinerait ensuite le sang et la viande de l’animal qu’elle devrait manger.

Son mari étant pris par le travail cette journée-là (et content de l’être, à mon humble avis), il lui fallait trouver un accompagnateur ou une accompagnatrice de confiance pour amener sa femme chez les Lébous. C’est à ce moment-là que j’ai compris que le « ndeup » avait réellement quelque chose d’inquiétant. La jeune femme qui fait le ménage à la maison, elle-même Léboue, a dit qu’il était hors de question qu’elle aille là-bas, de peur que le « rab » quitte la jeune femme pour s’implanter dans un autre corps, peut-être le sien. Un ami à moi a finalement accepté de l’accompagner, mais a dit ne pas vouloir assister à la cérémonie. Le matin de la visite chez les Lébous, il s’est levé plus tôt que d’habitude et a prié plus longtemps que de coutume.

Quant à moi, je me suis dit que la couleur de ma peau pouvait augmenter l’appétit du « rab » et la valeur de la bête à sacrifier. C’est comme ça que je me suis défilée et que je suis restée à la maison, soulagée de ne pas avoir à croiser les esprits anciens un tantinet orgueilleux et rancuniers pouvant errer dans les villages lébous.

La jeune femme n’a finalement pas encore assisté au « ndeup ». S’étant gavée de jus de bissap et de boissons lors de son passage chez les Lébous, elle est tombée dans un coma diabétique qui l’a menée droit à l’hôpital où on s’occupe d’elle depuis. L’insuline qu’on lui injecte périodiquement semble améliorer sa condition.

La cartésienne que je suis s’étonne que des médecins n’aient pas réussi à diagnostiquer cette maladie au cours de la dernière année ; se réjouit qu’une réponse scientifique ait été trouvée à son mal… tout comme son mari, un Sénégalais originaire de la Guinée, qui estime, à l’instar des membres de la famille de la jeune femme, qu’il faut néanmoins faire le « ndeup » au plus tôt, pour mettre toutes les chances de son côté.

Si on m’avait raconté cette histoire lors du repas de Noël dont j’ai souvenir, j’aurais sans doute trouvé la réaction du mari farfelue. Mais ça y est, je vis en Afrique, et force est de reconnaître qu’ici, des choses m’échappent et prennent un sens alors qu’elles n’en auraient pas ailleurs.

On m’a proposé des gris-gris, des diseurs d’avenir. J’ai préféré ne pas y toucher, en partie parce qu’ils appartiennent à un univers qui n’est pas le mien, à une économie mystique à laquelle je ne veux pas participer ; mais aussi parce qu’y avoir recours consisterait à leur reconnaître un pouvoir et à y être soumise. Je n’ai pas vu les balles d’une mitraillette rebondir sur le torse d’un homme, ou une lame ne laissant aucune trace sur la peau qu’elle cherche à découper ; je n’ai jamais vu de « ndeup »… mais je suis là, je vis en Afrique, là où on peut croire que ce qui ne s’explique pas existe.

Share


Un commentaire so far
Laisser un commentaire

Merci. C’est un très beau commentaire…

Commentaire par François




Laisser un commentaire